Into the silence
5 de décembre de 2023 La compagnie en tournéesilence
« Je souhaite faire naître un dialogue poétique qui fait vibrer l’espace entre danseur·euses et publics. »
— Yuval Pick
Dans cette soirée Into the silence, composée d’un duo féminin et d’un solo masculin, Yuval Pick souhaite créer un accord privilégié, sans artifice, entre l’expressivité du corps et une composition musicale existante. Le chorégraphe sent la nécessité de rendre visible ici l’aspect riche et foisonnant d’un corps dansant. En s’inspirant des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, il souhaite développer une démarche compositionnelle et sensorielle qui réponde aux intervalles produits par l’interprétation sensible de Rosalyn Tureck.
Comme un leitmotiv et un point de gravité, la musique de Bach est à nouveau à l’origine de la nouvelle création de Yuval Pick, Into the silence. Le chorégraphe nous en dit plus sur sa genèse et ses grands axes…
Après PlayBach en 2010 et Vocabulary of need en 2020, la musique de Bach est à nouveau au cœur d’une de tes créations, Into the silence…
Yuval Pick (YP) — J’entretiens depuis longtemps une familiarité avec l’univers de Bach, dont la musique évoque pour moi comme des boucles qui se chevauchent et se répondent les unes aux autres, avec des rotations et des mouvements spiralés… J’ai toujours été touché en particulier par ses Variations Goldberg qui m’apparaissent presque comme un paysage naturel. Quand j’écoute les Variations, j’ai aussi la sensation d’une colonne vertébrale : je me sens à la fois centré et ouvert à ce qui m’entoure.
Après d’autres versions, j’ai découvert l’interprétation de Rosalyn Tureck, plus lente et laissant davantage d’intervalles où pouvoir introduire la danse. Parmi les 32 partitions, il a fallu aussi effectuer un choix difficile, tant les Variations constituent un flux quasi continu.
Into the silence marque aussi une nouvelle étape dans ton œuvre chorégraphique…
YP — Oui, c’est un tout nouveau volet : j’ai souhaité mettre la méthode et la philosophie de ®Practice au cœur de ma recherche chorégraphique, en la confrontant à des musiques existantes, pour voir comment elles se révèlent et dialoguent avec Practice.
YP — Les fondamentaux de cette méthode tiennent dans les notions de rotation, d’« espace-entre », de transfert de poids, de qualité du rebond au sol, de corps orchestral mettant en dialogue le haut et le bas du corps… Practice servait surtout jusqu’à présent à l’échauffement des danseur·euses et au développement de leur niveau physique et de présence, et se place aujourd’hui au cœur de ma création.
« Vers le silence » : c’est un drôle de titre pour une pièce (composée d’un solo et d’un duo) qui s’appuie beaucoup sur la musique ?
YP — Je le traduis plutôt par « Vers la paix », avec l’image de deux mains qui se serrent lors d’une rencontre et d’un accord, deux mains qui se trouvent dans la différence. A une époque désorientée et violente, j’avais envie de donner, au public et aux danseur·euses, à travers la danse et la musique, quelque chose de paisible, une harmonie possible, un accord.
La pièce est aussi un retour à un format plus réduit, s’articulant en deux parties : un duo féminin et un solo masculin. J’ai choisi des danseur·euses qui travaillent depuis longtemps avec moi. Le solo résonne avec l’instrument unique de Bach, et le duo des deux danseuses, aux registres expressifs très différents. Le duo invite à ce dialogue vers un accord possible de l’espace entre elles.
Le dispositif réduit permettra aussi de jouer dans des lieux hors salles de spectacles comme un musée ou un autre espace public. Ceci dit la scène demeure pour moi primordiale pour la création : j’aime la profondeur de cette « boîte noire », sa profondeur de champ, qui est comme une boîte magique. Pour cette pièce, il n’y a pas de décor, mais un travail avec des LED et des lignes de lumière : c’est la lumière qui crée un espace et des trajectoires lumineuses.
Comment as-tu travaillé concrètement avec les trois danseur·euses ?
YP — J’ai créé une première matière chorégraphique à partir de ces images de boucles sonores qui ont évoqué pour moi les rotations, la double hélice d’ADN… Ensuite, avec l’expressivité émotionnelle que j’ai sentie dans les morceaux, j’ai enrichi le vocabulaire du mouvement. La matière est nourrie également par les personnalités de chacun·e des danseur·euses, avec leurs spécificités techniques et artistiques. Il s’agit d’un travail fait sur mesure pour elles et eux.
Dans le processus, concrètement, il y a une phase où je leur donne la matière et les interprètes la transforment au travers de différentes tâches, et ensuite je reprends cette matière et j’écris la composition.
Tu mets aussi littéralement la musique de Bach en mouvement ?
YP — Oui, j’adore pouvoir proposer une écoute sur plusieurs plans. Là, il y en a trois : celui classique d’une diffusion par des enceintes en front et en fond de scène ; un haut-parleur que les danseur·euses peuvent déplacer sur le plateau ; et, enfin, un mini haut-parleur avec un son mono qui ajoute un troisième plan de diffusion. Ces trois strates sonores peuvent créer des rapports de force différents, des variations de rapports entre musique et danse. C’est un dispositif que j’avais déjà utilisé pour certaines de mes pièces : Loom, Ply… Je cherche à ce que la danse mène la musique et non le contraire. L’espace sonore est créé par les danseur·euses. Plus profondément encore, l’engagement du·de la danseur·euse crée un espace, et il y a pour moi une importance éthique du geste dansé.
Encore une fois, cette pièce ne semble pas avoir de trame narrative déterminée ?
Inspiré par la notion de lignes et de courbes dans la nature, comme des traces et comme des fils, je m’intéresse surtout au corps vivant et organique qui réagit à une musique évoquant pour moi un paysage, la nature… Il y a presque quelque chose d’animal dans les mouvements, au-delà du beau et du laid. Il s’agit d’être au plus proche de la vie dans ses rythmes, ses mouvements, la sensation du temps…
— Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave, journaliste, septembre 2024
Autour de la pièce
Teaser de Into the silence
Distribution
Chorégraphie : Yuval Pick
Assistante chorégraphique : Sharon Eskenazi
Interprètes : Noémie De Almeida Ferreira, Madoka Kobayashi (duo), Guillaume Forestier (solo)
Musique : Jean-Sébastien Bach
Régisseur son : Pierre-Jean Heude
Lumières : Sébastien Lefèvre
Costumes : Gabrielle Marty
Assistée de Florence Bertrand
Regard extérieur : Julie Guibert
Production : CCNR/Yuval Pick
Coproduction : Scenario Pubblico — Compagnia Zappalà Danza, Catane (Italie)
Accueils en résidence : L’Échappée — Médiathèque de Rillieux-la-Pape (en cours)
Avec le soutien de l’Institut Français, de la Métropole de Lyon et de la Fondazione Franco-Italiana per la creazione contemporanea.
Durée : 50 min environ
Crédit photo : Sébastien Erôme
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